Est-ce que ça t’arrive de commencer une phrase par «Moi je suis pas féministe, mais…»? De rire de ces féministes qui sont extrémistes, insensées, à côté de la plaque? Si on te décrivait comme féministe, tu trouverais ça insultant? Eh bien j’ai une mauvaise nouvelle pour toi: tu es peut-être bien un ou une féministe quand même.

En fait il y a un test assez simple. Tu es féministe si:

  1. Tu crois que les hommes et les femmes devraient avoir les mêmes droits et les mêmes opportunités dans la vie.
  2. Tu comprends qu’on n’y est pas encore vraiment, et que la majorité des inégalités affectent les femmes.

C’est aussi simple que ça. Tu ne crois pas à l’égalité? Alors tu n’es pas féministe. Tu penses que dans la société actuelle les hommes et les femmes bénéficient d’une égalité de chances et de traitement? OK, tu n’es pas féministe. Mais si tu crois à l’égalité et tu penses qu’on n’y est pas encore, alors tu es probablement féministe.

Bien sûr je n’ai pas l’intention de te forcer à porter une étiquette. Si tu es une des nombreuses personnes qui commencent par dire «Moi je suis pas féministe, mais…» avant de dire quelque chose en faveur de l’égalité, très bien, tu fais comme tu veux. Mais ça peut être intéressant de savoir exactement pourquoi cette étiquette te semble aussi gênante; est-ce que tu es vraiment en désaccord avec les principes essentiels du féminisme, ou bien est-ce que tu as plutôt peur d’être associé aux images négatives que notre culture véhicule sur le féminisme?

Dans la suite de cet article, je parlerai de ce qu’est le féminisme — à mon sens — et de ce qu’il n’est pas. Tu peux arrêter ta lecture ici si tu connais déjà tout ça, ou continuer si tu as quelques minutes devant toi et que tu veux en savoir plus.

Le féminisme c’est…

Le féminisme c’est un système de valeur qui associe deux choses: une croyance morale dans l’égalité des sexes, et une analyse sociologique qui dit que, dans l’ensemble, il se trouve que les femmes sont désavantagées.

C’est un peu large comme définition, mais c’est fait exprès. Parce qu’il faut bien comprendre que, en pratique, le féminisme n’est pas un mouvement politique uniforme. On y trouve des tas de personnes avec des idées souvent opposées. Des féministes marxistes, des féministes de droite, et tout ce qu’on voudra. Des féministes ou des groupes féministes peuvent être en désaccord sur l’identification des problèmes («est-ce vraiment un problème féministe, est-ce vraiment du sexisme?»), sur les priorités à donner à différentes actions («faut-il se concentrer sur le problème A ou le problème B?») et sur les méthodes à utiliser («comment peut-on lutter contre ce problème?»).

Alors ça te surprendra peut-être, mais même si tu te définis comme féministe tu n’es pas obligé(e) d’abandonner tes opinions et ton esprit critique. Tu as le droit de pas être d’accord avec d’autres féministes. Tu n’as donc aucune raison de craindre le mec ou la fille qui, au détour d’une conversation, t’enverrait un «Quoi, t’es féministe? Mais alors tu penses que [X]?!?» (où X est un cliché habituel sur le féminisme, une opinion politique que tu ne partages pas, ou peut-être quelque chose auquel tu crois effectivement). Tu gardes bien évidemment le droit de ne pas accepter les idées préconçues des gens, et celui d’expliquer ton opinion.

Et puis il y a le mot lui-même, «féminisme». C’est un mot qui met beaucoup de monde mal à l’aise car ça implique une attention particulière aux droits des femmes. Beaucoup de gens répètent que si la morale du féminisme c’est l’égalité des sexes, eh bien il faudrait laisser tomber ce terme archaïque et parler d’égalité ou d’anti-sexisme. C’est une critique pertinente (du moins tant qu’on ne dit pas ça pour signifier aux féministes qu’ils et elles feraient mieux de fermer leur grande gueule), et je voudrais y répondre.

Je pense que «féminisme» est un mot légitime et utile, pour deux raisons:

  1. Les femmes sont les principales victimes des inégalités et préjugés fondés sur le genre. Et ça reste vrai même aujourd’hui en France, en Europe, etc. Je pense donc qu’il est raisonnable de se concentrer sur les droits des femmes et sur les représentations culturelles qui limitent l’égalité des chances pour les femmes. Bien entendu, des hommes sont parfois discriminés à cause de leur genre, mais ces discriminations sont beaucoup moins répandues et systématiques que ce que les femmes doivent affronter toute leur vie. Alors peut-être que ça vaut le coup de se concentrer sur ce problème et d’utiliser un mot qui reflète cette attention particulière, non? Autrement, on risque de se perdre en déclarations d’intentions vagues et sans impact, du type «ça serait tellement mieux si les gens faisaient pas de discrimination».

  2. Parler de «féminisme», c’est aussi honorer toutes les femmes qui se sont battues dans les différentes «vagues» féministes afin de: gagner le droit à la propriété, à l’éducation et au vote; atténuer (mais hélas pas éradiquer) les discriminations dans la vie de tous les jours et au travail; dire à quel point des problèmes souvent tabous tels que le harcèlement sexuel et la «culture du viol» sont répandus dans la société. Il a fallu beaucoup de courage pour mener ces combats malgré les injures et l’exclusion sociale. Nous devrions célébrer ce courage et continuer ce travail, au lieu de le dénigrer ou de l’écarter comme quelque chose qui appartiendrait au passé.

Ce que le féminisme n’est pas

Il y a beaucoup d’idées préconçues qui circulent sur le féminisme. Je ne peux pas toutes les recenser ici, mais en voici quelques unes que je voudrais réfuter.

  • Le féminisme ce n’est pas juste un truc de femmes. Je suis un homme, et je m’intéresse aux droits des femmes pour des raisons à la fois altruistes (je souhaite que les femmes dans ma vie aient les mêmes droits et les mêmes chances que moi) et égoïstes (je ne souhaite pas vivre selon les idées préconçues sur ce que «être un homme» signifie, par opposition à une femme).

  • Les féministes ne sont pas meilleur(e)s ou pires que les autres gens. Par exemple, je ne crois pas que les féministes baisent plus ou moins souvent ou moins bien que quiconque (je ne vous fais pas l’injure de rappeler le cliché idiot de la féministe mal baisée, si?). Et, surtout, en quoi est-ce une question pertinente dans un débat politique et philosophique? Laissons les personnes tranquilles, et discutons plutôt des idées.

  • Personne n’a le monopole du féminisme. En particulier, le féminisme ça ne se limite pas aux coups médiatiques du groupe féministe le plus visible du moment (quoi qu’on pense de leurs actions).

  • Le féminisme n’est pas un vestige du passé. Dans la plupart des pays occidentaux, les hommes et les femmes sont égaux en droits (avec quelques dangers, par exemple aux États-Unis où les conservateurs mènent la guerre à l’accès des femmes à la contraception et à l’IVG), mais ça ne signifie pas que les femmes aient en pratique les mêmes chances de réussite sociale que les hommes. Nous avons tous l’habitude de traiter les hommes et les femmes différemment, et la plupart du temps nous ne nous en rendons pas compte: on trouve ça normal, tout simplement. (Les habitudes ont la vie dure. Ça commence par exemple avec le genre de jouets que l’on offre aux petits garçons et aux petites filles, ou encore avec les attentes et les comportements qu’on projette sur eux — «oh tu sais comment sont les garçons, toujours à courir partout; les filles sont quand même plus calmes».) Nos lois ont beau être neutres, notre culture ne l’est pas, et ça a des conséquences réelles sur ce que les femmes pensent pouvoir faire, sur ce que les hommes et les femmes pensent que les autres femmes peuvent faire, et ainsi de suite. La faible proportion de femmes à des postes à responsabilités, c’est une conséquence directe de la culture dans laquelle nous vivons, et nous avons tous la possibilité de changer ça (même juste un peu).

Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui. Merci d’avoir lu jusqu’ici!