Pas mal de gens cherchent à définir la pansexualité en l’opposant à la bisexualité, et inversement. Cette opposition me pose problème, notamment parce que ces deux termes:

  1. ont des définitions multiples et
  2. peuvent se recouper en partie.

À vrai dire, je retrouve surtout ce mécanisme d’opposition lorsqu’il s’agit de définir la pansexualité. Sans doute parce que «bisexualité» est un terme plus courant et plus ancien, et que beaucoup de gens pensent savoir ce dont il s’agit. Donc quand une personne se décrit comme pansexuelle, on aboutit très vite à cette question: «Mais euh c’est quoi la différence avec la bisexualité?»

Et là, c’est la merde.

Pour la faire courte, la plupart des définitions qui opposent pansexualité et bisexualité sont merdiques, insultantes pour les bi·e·s, et reposent sur des fondements biphobes.

Mais tout ça je vous en parlerai un peu plus tard, dans environ une trentaine de paragraphes. Car d’abord nous allons parler un peu des définitions de la bisexualité et de la pansexualité. Et cela indépendamment l’une de l’autre, dans un premier temps, afin d’arrêter de renvoyer dos à dos les bi·e·s et les pans.

Définitions de la bisexualité

Des définitions de la bisexualité, il y en a plein. J’aimerais pouvoir dire qu’il y en a autant que de personnes bi·e·s… si seulement! Hélas il y en a encore plus que ça, les personnes pas bi·e·s n’étant pas en reste pour nous expliquer notre vie.

Menfin. La définition la plus courante ressemble à:

Une personne bisexuelle est une personne qui est attirée à la fois par les hommes et par les femmes.

On fait souvent remarquer que cette définition classique est cissexiste1 (car elle suggère que l’humanité se divise en deux genres, hommes et femmes; cf. note 1). Critique parfaitement légitime, mais notons au passage que les définitions usuelles «hétérosexualité», «homosexualité», «gay», et «lesbienne» présentent exactement le même problème.

Quoi qu’il en soit, je n’aime pas beaucoup cette première définition, même si elle peut être utile pour expliquer brièvement la bisexualité à une personne pas du tout familiarisée avec les genres au delà de «homme» et «femme». Mais j’aime encore moins celle-ci:

Je suis un·e vrai bi·e, avec une vraie attirance à 50-50.

C’est une phrase que j’ai lue sur le profil d’une personne bie sur un site de rencontre. Voilà pourquoi elle craint:

  1. cette phrase implique qu’il y a de faux·sses bi·e·s;
  2. et que pour être bi·e·s il faut un équilibre parfait entre les attirances ressenties (NO. FUCKING. WAY.);
  3. enfin, cette phrase reprend le binarisme1 de la définition classique de la bisexualité.

C’est une définition élitiste et excluante, qui dissuadera bien des personnes de se revendiquer bi·e·s, ou même de penser que c’est possible et que ça peut leur correspondre. Exit les personnes bicurieuses. Exit les personnes dont les attirances sont fluides, ou pas «équilibrées à 50-50».

Vous croiserez très souvent des définitions de la bisexualité qui sont excluantes. Mais attention à ne pas faire des personnes bies les principales responsables de la biphobie! Quand j’ai lu la phrase ci-dessus, j’en ai voulu à son auteur·e; puis je me suis demandé ce que cette personne (qui avait la quarantaine) avait dû vivre pendant 20 ou 30 ans pour se sentir obligée de montrer patte blanche ainsi. Corollaire: à qui se sent-elle obligée de montrer patte blanche?

Peut-on faire mieux que les définitions ci-dessus? Oui, carrément!

J’aime beaucoup la définition suivante, de l’activiste bie Robyn Ochs (citée notamment par Shiri Eisner dans Bi: Notes for a Bisexual Revolution):

Je dis que je suis bisexuel·le car je reconnais en moi la possibilité d’être attiré·e (romantiquement et/ou sexuellement) par des personnes de plus d’un genre et/ou sexe; et cela, pas forcément au même moment, pas forcément de la même manière ou avec la même intensité.

J’aime cette définition car elle est très ouverte et sonne comme une invitation. C’est comme une permission donnée à toutes les personnes qui se demandent pour la centième fois «Est-ce que je suis légitime à me dire bi·e?» de répondre «Oui!», pour peu qu’elles le souhaitent!

Aujourd’hui, l’idée que la bisexualité est une attirance pour «deux genres ou plus» tend à s’imposer chez beaucoup de bi·e·s et ailleurs. On utilise de plus en plus «bisexualité» comme un terme général (umbrella term) pour regrouper de nombreux ressentis qui peuvent être assez différents entre eux, tout en se démarquant de l’hétérosexualité et de l’homosexualité. Pour donner un exemple, une personne qui est attirée par les femmes et par des personnes androgynes («androgyne» n’est pas un genre en soi, mais restons simples pour le moment) peut également se définir comme bi·e si elle le souhaite; de même que des personnes attirées par «les hommes et les femmes» (pas forcément de manière exclusive et résolument binaire), des personnes attirées par tous les genres sans distinction, des personnes bicurieuses, etc.

Définitions de la pansexualité

D’emblée je voudrais préciser que je me sens limité·e sur ce point. Les définitions de «pansexuel·le» que je connais me parlent, car elles ressemblent à une partie de mon ressenti, mais je ne m’identifie pas comme pan et je me suis plus souvent intéressé au militantisme bi. Donc voilà, je suis pas super compétent·e pour parler de la pansexualité, mais je vais faire de mon mieux.

À mon sens, la pansexualité est une orientation sexuelle liée à une attirance:

  1. pour des personnes de tous genres;
  2. et/ou pour des personnes indépendamment de leur genre.

Dans les définitions que j’ai pu entendre ou lire, on met l’accent soit sur «tous les genres», soit sur «quel que soit le genre». Par exemple cette définition trouvée chez Wiktionary met plutôt l’accent sur le côté «le genre ne rentre pas en ligne de compte»:

Orientation sexuelle désignant l’attirance, l’affinité d’une personne pour les autres, indifféremment de leur genre, identité de genre ou sexe2.

Personnellement je trouve cette définition un peu restrictive et excluante. J’ai discuté avec plusieurs personnes qui retrouvent une partie de leur expérience dans le concept de pansexualité, mais qui ne pensent pas pouvoir se décrire comme pansexuel·le·s car leurs attirances sont influencées par des aspects «genrés». À l’inverse, beaucoup de pansexuel·le·s disent que le genre de la personne, une expression de genre, etc., peuvent influer sur leur désir, le «colorer» en quelque sorte, mais sans être un pré-requis pour elleux.

On retrouve cette pluralité de ressentis dans cette longue définition ou plutôt description (en anglais) dont je vous cite une partie:

Une partie des pansexuel·le·s affirme que genre et sexe sont sans importance pour elleux. D’autres disent que le genre joue un rôle important dans leurs attirances, sans pour autant être un facteur décisif.

Partant de là, je me demande si une bonne définition de la pansexualité ne devrait pas rester aussi ouverte et accueillante que possible (sans perdre son sens principal). Peut-être serait-ce une bonne idée d’adapter la définition de Robyn Ochs? Cela donnerait:

Je dis que je suis pansexuel·le car je reconnais en moi la possibilité d’être attiré·e (romantiquement et/ou sexuellement) par des personnes tout genre et/ou sexe; et cela, pas forcément au même moment, pas forcément de la même manière ou avec la même intensité.

Ou bien est-ce que la possibilité de différences et fluctuations, contenue dans la deuxième partie de cette définition, est peu adaptée à la pansexualité?

Si vous connaissez une définition un peu succincte et ouverte de la pansexualité, faites-moi signe. :)

Points communs

Comme je le disais en introduction, on oppose souvent bisexualité et pansexualité. Ça peut venir d’une volonté de les différencier, afin de définir la pansexualité différemment de la bisexualité et ainsi légitimer la nécessité d’un terme différent. Malheureusement c’est aussi souvent teinté de biphobie (j’y reviendrai).

Personnellement, le petit jeu de l’opposition bi/pan m’horripile, et je préfère parler de points communs, d’abord, et de spécificités ou différences, ensuite.

Pour les points communs, je relève par exemple:

  • L’attirance pour plus d’un genre, qui entre en contradiction avec l’idée monosexiste3 d’une orientation sexuelle qui a une direction claire et unique (homme vers femme, femme vers homme, homme vers homme, femme vers femme).

  • L’absence quasi-totale, dans l’éducation, les médias, la culture et leur entourage, de personnes bi·e·s ou pansexuel·le·s pouvant servir de point de référence ou identification.

  • Un vécu partagé de la biphobie et/ou la menace de subir la biphobie. (Notez que j’utilise le terme «biphobie», d’usage courant, pour désigner les violences physiques et symboliques contre les bisexuel·le·s et contre les pansexuel·le·s. Je n’utilise pas le terme «panphobie» car il existe déjà avec une signification sans rapport avec la pansexualité.)

Il y a donc une zone de recoupement importante entre bisexualité et pansexualité.

Quelles différences?

Quid des différences? Eh bien cela dépend beaucoup des définitions que l’on accepte pour «bisexualité» et «pansexualité»!

Pour ma part je suis incapable de définir strictement la différence entre bisexualité et pansexualité. Je donnerai donc juste ces quelques repères:

  • «Bisexualité» est un terme qui peut correspondre à plus de personnes.
  • «Pansexualité» est un terme plus spécifique, qui correspondra a priori à moins de personnes.
  • Il y a pas mal de gens dont l’orientation peut correspondre à la fois aux définitions de «bisexuel·le» et à celles de «pansexuel·le». Ces personnes choisissent l’un ou l’autre terme (ou d’autres encore) en fonction de préférences personnelles et politiques.
  • On peut considérer la pansexualité comme un sous-ensemble de la bisexualité, ou au contraire considérer que ce sont deux orientations bien séparées… pour ma part je n’ai pas l’intention de trancher, et je ne suis pas certain·e qu’il y ait un intérêt à le faire. :)

«Bisexualité» est un terme plus large — à plus forte raison si on accepte une définition ouverte de la bisexualité — car il peut par exemple inclure des personnes bicurieuses, des personnes qui ont des préférences plus ou moins marquées, et des personnes qui ne sont pas sûres d’être attirées par tous les genres. Tandis que «Pansexualité» décrit (même avec une définition assez ouverte) un ensemble de ressentis précis et a priori plus rares.

Quant aux personnes qui se sentent proches des définitions de «pansexuel·le» et de «bisexuel·le» à la fois, comment choisissent-elles un terme plutôt que l’autre?

Ça dépend bien sûr de chacun·e. Par exemple certaines préfèrent «pan» car elles privilégient un vocabulaire qui ne fait pas référence à la dichotomie homme/femme, et «bisexualité» est un mot construit historiquement sur cette dichotomie. D’autres préfèrent «bi·e» car c’est un mot plus largement connu du grand public, et parfois parce qu’elles estiment que cette identité, très dénigrée, est à défendre.

Si je veux, quand je veux, comme je veux

Gardons à l’esprit que chaque personne se définit comme elle veut (et si elle veut), et c’est très bien ainsi. Par exemple j’ai donné une définition assez large de la bisexualité, mais plein de gens qui peuvent être inclus·es dans cette définition préfèreront se dire gays, lesbiennes, hétéros, etc. Je ne vais certainement pas leur dire que «bi·e» c’est mieux, qu’au vu de leurs désirs et pratiques ou que sais-je, iels seraient plutôt bi·e·s. Leurs raisons pour s’identifier d’une manière plutôt que d’une autre sont sans doute très valables, et surtout ça ne me regarde pas.

D’ailleurs, on ne peut pas modéliser les orientations sexuelles — à plus forte raison en voulant rendre chaque orientation exclusive — sans exclure de fait les gens qui se retrouvent entre deux définitions, ou dont l’orientation est fluide, ou qui s’identifient d’une manière et à qui on vient dire que «non non, pas du tout, c’est pas la bonne case», et encore d’autres que j’oublie.

Attention donc à:

  • ne pas imposer vos définitions comme si elles étaient absolues;
  • ne pas accorder une importance excessive aux définitions, surtout si elles visent à séparer des orientations en groupes distincts.

L’approche qui me semble la plus respectueuse de chacun·e consiste à l’inverse à:

  • utiliser des définitions ouvertes (sans aller jusqu’à les vider de leur sens);
  • laisser toute liberté à chacun·e pour utiliser un terme ou non, et communiquer sur cette liberté.

Une critique récurrente de cette approche c’est qu’il devient difficile de créer des rassemblements politiques et militants si être bi·e ou pan c’est open bar. Je suis d’accord mais je crois pas qu’on résolve le problème en utilisant des définitions excluantes. C’est pas comme si les «vrai·e·s bi·e·s avec une attirance à 50-50» (pour prendre un exemple de définition excluante) étaient tou·te·s hyper mobilisé·e·s politiquement, loin s’en faut.

De plus, dans le cas précis d’une lutte bi/pan contre la biphobie, permettre à des gens de s’identifier comme bi·e·s et/ou pans quand ce sont justement des conceptions biphobes de la bisexualité ou de la pansexualité qui les en empêchent, c’est déjà un but politique pas complètement dégueu.

La pansexualité opposée aux bi·e·s

Je termine par un truc qui me fout régulièrement en rogne en tant que bi·e et trans («non-binaire»4): les définitions de merde qui opposent pansexualité et bisexualité, en crachant au passage sur les bi·e·s.

Florilège:

  1. Les bi·e·s sont attirées par les hommes cisgenres et les femmes cisgenres, et pas par les trans. Les pans sont attirées par tout le monde.
  1. La bisexualité c’est binaire alors que la pansexualité prend en compte les genderqueers et les agenres4.

2bis) La pansexualité [est une attirance pour] tout le monde, y compris des personnes qui ne rentrent pas dans la binarité de genre impliquée par les attirances bisexuelles. [Source]

Les bi·e·s seraient attirées uniquement par les personnes cis

Déjà faudra m’expliquer comment les bi·e·s feraient au juste pour avoir un radar à personnes trans afin de les exclure de leurs désirs potentiels. Quid du passing? Quid des personnes qui ont un corps et/ou un style pas stéréotypé «homme» ou «femme» et qui ne s’identifient pas du tout comme trans, les bi·e·s les écarteraient aussi juste pour être sur·e·s? Comment ça marche au juste?

Plus sérieusement, il n’y a aucune raison pour que les bi·e·s soient moins sensibles aux charmes de personnes trans que les personnes ayant d’autres orientations sexuelles. C’est un mensonge éhonté.

Il faut bien distinguer deux choses:

  1. Les désirs qu’une personne donnée ressent ou non, en pratique, pour d’autres personnes qui s’avèrent être trans. (Et ces désirs ou absences de désirs peuvent être influencés par une transphobie latente et/ou une société transphobe, oui.)
  2. La définition d’une orientation sexuelle, dans laquelle la notion de «est susceptible de désirer une personne trans ou non?» n’a strictement rien à foutre.

Ce mensonge sur les bi·e·s m’horripile d’autant plus que:

  • Il sous-entend clairement que les personnes bies sont un peu de vilaines transphobes quand même (ou du moins elles ne sont pas libérées du mode de pensée cissexiste, contrairement aux pans tu vois). Et ça, c’est un poil insultant hein.
  • C’est d’ailleurs doublement insultant pour les bi·e·s qui sont trans. (Présent·e!) On est vraiment trop con·ne·s à s’identifier à une orientation sexuelle qui fondamentalement nous opprime!
  • Il décrit le désir pour des personnes trans comme une sorte d’orientation sexuelle, que l’on peut légitimement distinguer des désirs pour des personnes cis… et perso je trouve que ça pue un peu cette histoire.

Les bies ne pourraient pas être attiré·e·s par des personnes non-binaires4

Dire que les bi·e·s sont transphobes, c’était sans doute trop gros. Quelqu’un a dû réaliser qu’il y a des trans qui sont bi·e·s, des bi·e·s qui ont des relations sexuelles et amoureuses avec des trans, etc., enfin bref ça tenait pas debout.

Qu’à cela ne tienne: on va dire que bi c’est binaire (argument fourni par Mattéo, 9 ans) et donc les bi·e·s ne peuvent pas avoir de désir pour les personnes qui ne sont pas hommes ou femmes. Banco!

Alors moi je veux bien jouer le jeu, je suis pas contrariante. J’aurais juste une ou deux questions pour bien comprendre les règles. Par exemple, mettons que je suis bi·e. Et alors là, tout à coup, j’ai un crush sur une personne non-binaire. Putain, la tuile. Qu’est-ce qui se passe ensuite? Est-ce que ma carte de bi·e est révoquée? Est-ce qu’il y a une amende? Et si je savais pas que cette personne s’identifie comme non-binaire, est-ce que je peux faire annuler l’amende ou bien je risque le pénal pour avoir malgenré mon crush dans mes pensées et dans mes désirs?

Non mais vous êtes sérieux·ses avec vos conneries là?

Alors même topo que précédemment:

  1. Cette idée d’une bisexualité qui «n’inclut pas» (novlangue bonjour) les personnes non-binaires ne repose sur rien.
  2. Le seul argument que j’ai entendu pour défendre cette idée était: «bi ça sonne comme binaire donc voilà». Ce type d’argument est irrecevable dans les rédactions de français des élèves de sixième.
  3. Quand bien même il y aurait des arguments en apparence solides, puis-je suggérer que c’est aux bisexuel·le·s de définir la bisexualité et de dire si ça a le moindre foutu rapport d’exclusion ou d’inclusion avec les trans non-binaires?
  4. Vous saviez qu’il y a des personnes non-binaires qui sont bies? Je précise juste, au cas où…
  5. Quand on dit que la bisexualité est une attirance pour «au moins deux genres», ça ne veut pas dire «hommes et femmes obligatoirement, et éventuellement plus». Je vous laisse réfléchir à ça.

Salut c’est la biphobie

C’est quand même bizarre ces définitions cheloues de la bisexualité, qui ne viennent pas de personnes bies, et qui donnent comme impression que les bi·e·s c’est rien que des transphobes ou des cissexistes. Je me demande vraiment d’où ça peut venir…

Je veux bien qu’il y ait une volonté de distinguer bisexualité et pansexualité. Mais c’est quand même singulier que le résultat soit des définitions de la bisexualité qui 1) sont fausses et 2) décrivent la bisexualité comme un reliquat d’un monde cissexiste et transphobe.

Est-ce que moi je vais voir des gays pour leur dire que «gay = attiré par les hommes cis», et que s’ils avaient un peu de décence et de culture politique ils utiliseraient un autre terme plus inclusif, je sais pas moi, androsexuel?

Okay les gays c’est compris? À partir de maintenant vous êtes soit des androsexuels, soit de vilains transphobes. C’est comme ça, j’ai décidé. Comment, vous pensez que c’est vous qui avez toute autorité pour dire ce que «gay» signifie? Ah mais non pas du tout, vous avez dû louper le mémo mais maintenant on ne fait plus comme ça du tout hein!

Vous voyez l’absurdité du truc? Eh bien bizarrement cette absurdité-là ne vise pas les hétéros, les lesbiennes ou les gays, et elle ne vise pas les pansexuel·le·s (ou indirectement en les enjoignant à utiliser un terme «safe», ha ha), mais elle vise spécifiquement les bi·e·s. Donc oui, clairement: biphobie.

À mon sens, l’effet concret de ces oppositions iniques (et venant souvent de tiers) entre bisexualité et pansexualité, c’est de décourager un maximum de personne de s’identifier comme bies:

  • Soit la personne a un ressenti proche de la pansexualité et sera incitée à se définir comme pan (car bi c’est binaire et/ou transphobe tu vois).
  • Soit la personne ne se sent pas spécialement pansexuelle, et sera dissuadée d’utiliser «bi·e» car ce terme est has been et oppressif.

Or il y a sensiblement plus de monde qui seraient concerné·e·s par une identité bie que par une identité pan.

Tout cela a un petit air de «diviser pour mieux régner» et de politique de la respectabilité, dans laquelle les bi/pan/bicurieux·ses/fluides/etc. seraient fortement incité·e·s à être des pansexuel·le·s (donc tolérées) ou bien à fermer leur gueule et à se faire discrèt·e·s.

Alors perso je propose qu’on arrête ces conneries. Si on pouvait exploser la gueule à ces mensonges une bonne fois pour toute, ça serait pas plus mal.

Ainsi, chacun·e pourra se dire bi·e ou pan ou autre chose encore sans craindre de se faire engueuler (le plus souvent par des personnes pas le moins du monde concernées…) pour avoir choisi le mauvais terme, celui qui est un peu transphobe.


PS: On est d’accord que je ne rends pas les pansexuel·le·s responsables des clichés selon lesquels «la bisexualité c’est un peu transphobe» (la responsabilité est bien plus large). Cœurs sur vous les pans. <3

PPS: Sur ce sujet, on peut lire aussi Shiri Eisner: Words, binary and biphobia, or: why “bi” is binary but “FTM” is not.


  1. «Cissexisme», «binarisme», qu’est-ce que c’est? Alors là encore les définitions sont variables (ah la la, qu’est-ce qu’on rigole!), aussi vais-je donner ma définition du cissexisme: le cissexisme c’est une idéologie pour laquelle l’humanité se divise en deux «sexes», et chaque personne appartient dès la naissance (et même avant celle-ci) à l’un de ces deux sexes, qui lui est attribué en fonction de la forme de ses organes génitaux. Par extension c’est un système social hégémonique qui applique cette idéologie à tous les individus sans exception, à travers les rapports sociaux codifiés (loi, obligations légales, administrations) et informels (injonctions, réprimandes, violences physiques et symboliques). Pour ma part je distingue cissexisme (idéologie et système) de la transphobie (ensemble des violences contre les personnes qui ne se plient pas à ce système); autrement dit, la règle et la sanction. Quant au binarisme, c’est un terme utilisé pour critiquer l’idée que tout le monde serait soit homme soit femme (newsflash: ce n’est pas le cas). 

  2. Genre, identité de genre, sexe: j’ai croisé plusieurs définitions qui séparent genre et identité de genre, ce que je trouve plutôt chelou. Des personnes trans font parfois remarquer qu’on parle souvent d’«identité de genre» pour elleux, mais simplement de «genre» pour les personnes cis. Quant à séparer genre et sexe, pourquoi pas, mais il faut voir ce qu’on entend par «genre» et par «sexe». Je suspecte que pour beaucoup de gens quand on dit «genre et/ou sexe», iels comprennent «sexe» comme «parties génitales». Je n’en dis pas plus, c’est un sujet à part entière… 

  3. Monosexisme: pour de nombreux·ses activistes bi·e·s et/ou pans, le monosexisme est l’idéologie selon laquelle toute personne est attirée exclusivement ou principalement par soit les hommes, soit les femmes. Toute personne serait donc soit hétérosexuelle, soit homosexuelle (lesbienne ou gay). Les bisexuel·le·s et pansexuel·le·s seraient inexistantes (pouf, disparues), ou bien confuses, ou se mentiraient à elleux-mêmes. Comme idéologie, le monosexisme est fondamentalement cissexiste (voir note 1). Par extension, le monosexisme est un système et une organisation sociale qui a pour visée et effet d’appliquer cette idéologie à toute personne, décourageant fortement les identifications et pratiques bies/pans. Ses armes principales sont l’effacement de la bisexualité et pansexualité de la sphère publique et de la conscience collective, et la biphobie (discriminations et violences physiques et symboliques contre les bi·e·s/pans en raison de leur orientation sexuelle et/ou romantique). Je rajouterai que le monosexisme se recoupe aussi fortement avec l’hétérosexisme, et que — disclaimer — parler de monosexisme ne signifie pas qu’on nie ou minimise l’importance de l’hétérosexisme (qui affecte aussi les bi·e·s et pans). 

  4. Genderqueer, genderfluid, non-binaire: voilà une partie des adjectifs utilisés par des personnes qui ne s’identifient pas comme «homme» ou «femme». Le terme «non-binaire» (en anglais, non-binary; on parle parfois de non-binary people) est plutôt générique, et on trouve d’autres termes désignant un ressenti, une affinité avec (mais pas une identification à) un genre «binaire», etc. Les définitions sont assez mouvantes, d’ailleurs c’est pas exclu que des personnes se considèrent comme genderqueer et/ou genderfluid mais pas comme «non-binaires» pour autant.